Franceinfo - 2 février 2023

28 peintures seulement et c'est pourtant la plus grande réunion de chefs-d'œuvre de Vermeer jamais réalisée. Que sait-on de l'artiste hollandais du XVIIe siècle dont la vie et l'œuvre restent entourées de mystère ?

On sait peu de choses de Johannes Vermeer, ce qui rend plus fascinante encore l'œuvre du peintre culte du Siècle d'or hollandais dont le Rijksmuseum présente la plus grande exposition jamais organisée. Les recherches documentaires et scientifiques commencent toutefois à jeter un peu de lumière sur sa vie et son travail.

On pourra voir à Amsterdam 28 des quelque 37 tableaux connus de l'artiste (du 10 février au 4 juin 2023). Vermeer a réalisé des scènes d'intérieur mystérieuses dans lesquelles il pose des figures qui semblent plongées dans le silence, dans une lumière et des couleurs poétiques, quasi magiques.

Johannes Vermeer (1632-1675) est né à Delft, entre Rotterdam et La Haye, où il a été baptisé et où il a passé toute sa vie. Son père était tapissier, puis aubergiste et marchand de tableaux. Le jeune Vermeer a donc baigné dans un milieu artistique mais on ignore auprès de qui il s'est formé à la peinture. Son père meurt en 1652, lui laissant de lourdes dettes. Il est admis à la guilde de Saint Luc en 1653 et dix ans plus tard il dirigera cette association professionnelle d'artistes, ce qui laisse penser qu'il était un peintre reconnu dans sa ville.

Converti au catholicisme

Elevé dans une famille protestante, Vermeer se convertit au catholicisme pour épouser Catharina Bolnes, fille d'une prospère famille catholique. Une nouvelle biographie publiée par le Rijksmuseum à l'occasion de l'exposition révèle l'influence que les jésuites ont pu avoir sur lui. Dans cet ouvrage, Gregor Weber, qui est responsable des beaux-arts au musée et co-commissaire de l'exposition, raconte que le peintre habitait juste à côté d'une mission jésuite et de son église clandestine (la pratique de la religion catholique était interdite à ce moment-là aux Pays-Bas). Ses filles fréquentaient l'école de la mission.

Ces derniers travaux sur Vermeer soulignent que dans l'inventaire dressé après sa mort figurent une peinture du Christ en croix et une Sainte Véronique caractéristiques des salles de dévotion catholiques. Dans l'Allégorie de la foi catholique, une de toiles de jeunesse de l'artiste, on trouve aussi une scène de Crucifixion. Dans La femme à la balance, c'est le jugement dernier qui est représenté au mur.

Redécouvert au XIXe siècle

De son vivant, Vermeer vendait ses toiles à de riches bourgeois de Delft. A lui tout seul, Pieter Claesz. van Ruijven, son principal mécène, en aurait acquis une vingtaine. Son art se serait peu diffusé au-delà des limites de la ville, ce qui expliquerait pourquoi après sa mort il a été ignoré sauf par quelques spécialistes. C'est un critique d'art et journaliste français républicain, Théophile Thoré-Buerger qui l'a tiré de l'oubli eu publiant trois articles en 1866 et en partant à la recherche des œuvres du peintre. C'est lui qui l'a surnommé "Le sphinx de Delft", compte-tenu du mystère qui l'entourait.

Chambre noire

On sait peu de choses aussi sur la façon de travailler de Vermeer, un peintre qui produisait peu, pas plus de deux ou trois tableaux par an, de petites dimensions, mais les dernière recherches viennent dissiper petit à petit une part du mystère. Les travaux de Gregor Weber confirment qu'il avait recours à une chambre noire pour réaliser ses œuvres. Il aurait été initié à la "camera obscura" par les jésuites, qui voyaient en elle un outil pour observer la lumière de Dieu. La chambre noire, ancêtre de l'appareil photo, fait passer la lumière à travers un petit trou qui produit sur l'image des effets de net et de flou, de profondeur de champ qu'on trouve communément dans les peintures de Vermeer. L'exemple le plus frappant est celui de La Dentellière, conservé au Louvre : la netteté du second plan attire l'attention sur l'action des mains de la jeune femme et le fil qu'elle utilise.

Découverte de dessins sous-jacents

On pensait que Vermeer travaillait avec une grande minutie et très lentement. Mais des recherches menées avant l'exposition, avec les outils les plus modernes de scannage, ont révélé des dessins sous-jacents sur La Laitière : le peintre a effectué une esquisse grossière à la peinture noire sous le bras (d'autres dessins sous-jacents ont été découverts sur La Femme à la balance). On a aussi découvert qu'il avait esquissé de la même manière deux objets : au mur, derrière la tête de la laitière, il avait prévu de peindre un porte-pichets, et en bas à droite du tableau, un panier à feu, objet qui servait à sécher le linge et les couches. Il y a ensuite renoncé et les a recouverts de peinture blanche, laissant seulement au sol un chauffe-pieds.

Il dégageait ainsi un espace plus vaste à côté de la jeune fille et la rendait d'autant plus monumentale.

Dépouillement

Un certain dépouillement est une des marques de Vermeer, qui laisse la place à la lumière et à des couleurs puissantes et subtiles (il utilisait beaucoup le bleu outremer, souvent associé au jaune). Quelque éléments sont récurrents, d'épais tapis et rideaux, les carrelages, une fenêtre qui n'ouvre pas de vue sur l'extérieur, toujours située à gauche, des instruments de musique, des cruches. Le tableau dans le tableau est fréquent : souvent au mur un tableau est accroché. Il peut s'agir d'une reproduction d'une des propres œuvres de Vermeer, d'un autre artiste ou d'une composition originale. La même peut revenir dans plusieurs tableaux. Les peintures de Vermeer ouvrent la porte à de nombreuses interprétations. Les tableaux dans le tableau peuvent être une clé supplémentaire pour les comprendre.

Des femmes, peu d'hommes, pas d'enfants

La plupart des œuvres de Vermeer sont des scènes d'intérieur bourgeois où il imagine des personnages dans les gestes du quotidien ou bien des intrigues. Des grandes fenêtres, situées en général à gauche, on ne voit pas l'extérieur. Il n'y a pas d'enfants dans ses tableaux. Alors que la maison de sa belle-mère où il habitait devait en être pleine (il en a eu quinze dont quatre sont morts en bas âge), les seuls qu'il a peints sont les deux qui jouent par terre devant une maison dans La Ruelle. Ce tableau est par ailleurs un des deux seuls paysages de Vermeer, avec la sublime Vue de Delft.

Le plus souvent, les personnages de ses tableaux sont des jeunes femmes, seules au travail (La Laitière, La Dentellière…), en train de jouer de la musique, parfois accompagnées d'une servante, d'un soldat, d'un professeur de musique. Deux sont visiblement enceintes (Femme en bleu lisant une lettre et Femme à la balance).

Musique

La musique et les instruments de musique sont très présents chez Vermeer, on les retrouve dans environ un tiers de ses tableaux, des tableaux qui, ici toujours, mettent en scène des jeunes femmes. Paradoxalement, ces œuvres évoquent plutôt le silence. La musique était à l'époque associée à l'amour, comme le suggère le Cupidon au centre du grand tableau accroché au mur au-dessus de La femme debout au virginal (le virginal est une sorte de clavecin).

La jeune femme au luth, en train d'accorder son instrument, regarde par la fenêtre. Attend-elle quelqu'un ? A côté de la Jeune femme assise au virginal, le regard interrogateur tourné vers nous, une viole de gambe posée au sol près d'elle semble attendre, tout comme son regard, l'arrivée d'un partenaire.